24 et 26/02/09

Deux ecoles monastiques. Bouddhistes bien sur. Pas des Trappistes. En compagnie de Soe Miat Thu, comedien birman parlant francais. Il vient me pecher a la Mahabandoola guest house dans son petit pick-up bringbanant.
On s’offre une heure de chaos a travers Yangon puis dans une vague campagne. On arrive.
Un grand mosastere a moitie en ruines. Disons fortement decrepi. Des centaines de moinillons nous courrent dans les pieds.
Je marche sur un mouvant tapis de moinillons. Experience transcendante. Des dizaines de moines idem, juste ils sont moins tendres sous le talon.
Avant toutes choses on s’en va saluer le Superieur. Trois prosternations feront contre terre. Lui tres digne, l’oeil sur l’horizon.
Il ne demandera qu’une chose a Soe Myat Thu : d’ou je viens ? « Belgium »
Il me regarde 10 secondes. 10 secondes tel le prelude au Nirvana et il lache en anglais : « very nice country »
C’est peut etre de l’humour, avec ces moines on ne peut jamais etre sur…
Puis le spectacle. Ils sont un bon millier dans une grande salle ombree au bord de l’effondrement.
Plus quelques 300 gamins qui ne sont moinillons.

Je m’initie au clown : je chausse un nez rouge, me fends d’un sourire ridicule…Il leur faudra 1/4 d’heure pour s’en remettre.
Ils se tiennent les cotes de rire. Eus-je fait ca en Belgique (et meme en France…) c’eut ete la fin de ma carriere.

Lors meme que j’attends qu’ils se calment, le front degoulinant, la chemisette detrempee (3 minutes de show deja…), les regardant egares dans leurs convulsions, mon nez rouge se remplissant de morve, je compris. Enfin. Tel le moine Lung Tang, 30 ans de meditations et de recitation des sutras et mantras, toujours tatonnant dans les tenebres et qui, voyant son maitre le rimpotche Thung epluchant un oignon sans pleurer mais en rotant, fut saisi par l’illumination.
Ces gamins haillonneux se bidonnant de mes faceties furent mes maitres secrets en cet instant sacre.
Aussi ici et maintenant je dis tout : vous qui me lisez toujours…Ou : toi qui me lis encore…Bon, s’il n’en reste qu’un je serai celui-la…
Voila, des la 1ere fois ou je fis ca, Magicien sans Frontiere, au Cambodge en janvier 2000, ca le fit. Ils m’ont propulses star. d’entree.
Et chaque fois que je le refais depuis, tout au long de ce chemin de poussiere de dragons et de Bouddhas.
En Europe depuis 25 ans au bas mot, je suis un magicien rate. Au moins poete maudit c’est vaguement prestigieux, un zeste de romance sulfureuse. Magicien foireux c’est tres en dessous. Tournez ca comme vous voulez, c’est comme faire de la danse classique sur des peaux de bananes. Ca finit par faire mal.
Ici les enfants de la misere ont pris soin de l’enfant blesse en moi. Je mets un nez rouge, je grimace facon debile leger et ils me placent juste apres le Buddha.
Je ne suis pas altruiste le moins du monde. Et si peu artiste. Au reste je deteste les altruistes. J’ai toujours prefere Jack l’Eventreur à l’abbe Pierre.
Juste vous etes plus mignons que moi, vous avez les p’tites gueules d’anges que j’eus lors de ce bel ete 1975. Sur ce plan je peux plus rivaliser avec vous. Mais a part ca on se ressemble. Je me profile comme votre miroir a peine deformant. L’Asie est ce jeu de miroirs ou tu te perds lorsque tu penses t’etre enfin trouve. Miroir mon beau miroir…Certes, certes…
…….Le soleil m’a un peu tape sur la tete…..Ou suis je ? Ah oui, les moinillons….

Moinillons….Plaisir tres pur de les faire rire. De jouer en compagnie de Soe Mya Thu. D’etre ici. D’etre aime enfin.
Me souviens de cette replique de Courteline :  » A nous deux public, tas d’bourgeois, epiciers, salauds. »
Ici enfin je peux l’aimer sans reserve mon public. Amours d’Asie. Une heure vingt nous voguerons ensemble. Et voila. C’est fini.
On accoste. Les moinillons se disolvent dans l’air torride. Vraiment, ils disparaissent. Je ne sais ou. La ‘ai pas compris. Chaque fois pareil.
Enigme d’Orient.
Ne demeurent qu’une dizaine de personnes dans la grande salle qui a tenu bon. Soe Mya Thu et moi nous nous replions. Tout le show dans une si petite valise.
On va se reprosterner devant moine sup’. D’un geste sublime il m’offre un paquet de biscuits.
Demain dernierre ecole monastique et by by Myanmar.

Oh non.

Je ne peux pas partir. Il demeure au moins 10 000 ecoles monastiques sinon plus. Je peux pas partir. Je viens d’apprendre a compter jusqu’a 3. En birman. Te, ne, ton. En francais je savais deja. Et il faut partir. Mais a quoi ca servait alors ? J’ai meme introduit ca dans mon spectacle. Je leur dis : je compte jusqu’a 3 et vous soufflez tous (d’accord c’est basique, mais birman…)
Je tends le pouce bien haut et vocifere : TE. Puis l’indexe : NE. Puis le majeur….Aucun son ne sort de ma bouche. Suis suspendu dans mon geste les yeux fixes sur eux. Lentement je fais pivoter mon regard vers ma main aux 3 doigts exhibes. Ils saisissent que j’ai oublie TON, trois
1/4 d’heure de rires. Des qu’ils reprennent leur souffles ils me soufflent : TON TON.
Et moi, ahuri complet : ah oui, TON, bien sur…OK ok, je reprends. Et ce coup-ci : TE, TON…(un, trois…) Meme jeu avec le regard, 1/4 d’heure de rires.

Comment pourrai-je quitter ce pays ?