Dernier jour de mission intensif. Nous partons vers 10h30 pour aller jouer au Centre Jules Ferry, ancien centre aeré qui est devenu Centre d’Accueil et d’Aide aux Personnes Migrantes.

 

On débarque doucement en jouant de la musique pour inviter les femmes et enfants qui y habitent  à venir voir notre spectacle… Pendant que Johnny, Babette et Gisèle vont visiter quelques tentes à proximité, les quatre autres restent dans l’endroit qui deviendra notre plateau, en jouant avec une dizaine d’enfants qui nous suivaient avec l’avidité de jouer.

 

Ils sont une quarantaine (les mamans et les enfants) quand le spectacle commence. La plupart de notre public, ce matin-là, est très jeune pour se réjouir de notre satire comme les adultes le faisaient, mais comme toute bonne blague clownesque, celle-ci contient le plaisir de jouer, et ça ils le comprennent ! Ils sont donc extrêmement contents de jouer à leur tour au passage de la frontière, en se glissant le passeport les uns aux autres, et surtout en faisant des grimaces à la reine.  Certains passent quatre fois de suite la frontière, et un petit se propose même de prendre le rôle de Johnny en faisant le passeur de passeport !

 

Notre intervention touche à sa fin, en une déambulation en forme de train humain en chantant tous ensemble jusqu’à la porte du centre.

 

Vers 12h30 on prend la route pour Norrent-Fontes, et en arrivant dans le camp on doit choisir l’endroit pour jouer, car on voit qu’il y a des tentes de chaque côté la colline. Quand on monte d’un côté pour prévenir les gens, nous sommes invités à entrer dans une grande cabane où dorment une vingtaine de femmes, les matelas collés les uns aux autres sur le sol, et les vêtements suspendus, ce qui donne une ambiance accueillante.

 

Vu que Johnny (le seul clown masculin du groupe) reste à l’extérieur, la complicité avec les femmes s’établit rapidement. Elles nous apprennent des chansons, quelques-unes essayent les instruments de musique, et se montrent curieuses de nos chansons. Je chante une musique traditionelle brésilienne, accompagnée par mon tambourin, une chanson à réponse bien rythmée qui, par hasard, parlait de la mer, du sable… Elles me répondent en chœur, et tout d’un coup il semble qu’on se connaît toutes depuis longtemps, d’ailleurs c’est difficile de quitter la cabane pour aller jouer de l’autre côté du camp comme prévu. On les invite toutes, mais malgré leur promesse seulement deux d’entre elles viendront.

 

Une fois arrivés dans l’autre partie du camp, on s’installe pour le spectacle près d’une tente plus grande que les autres. L’écoute est super, ils adorent danser, taper dans les mains avec nos chansons, et surtout le coup du passeport… Finalement on est contents d’avoir pu passer du temps dans la grande cabane avec les femmes, car il me semble qu’elles ne se mélangent pas trop avec les hommes, et que dans l’intimité des femmes on a pu partager un moment de détresse intense, d’échange très humain.

 

La pluie, qui a été clémente toute la semaine, arrive à la fin de notre intervention à Norrent-Fontes. On prend la route encore une fois, renforcés par l’énergie des pains au chocolats offerts par notre super-logisticien Karl, pour rejoindre une communauté de réfugiés viêtnamiens de 80 personnes (la plupart des jeunes adultes) à Angres.

 

Comme ils étaient en train de préparer à manger, on a imaginé que ça poserait des problèmes pour présenter le spectacle, mais pas du tout…

Ils sont très organisés, et pendant que quelques-uns nous aident à déplacer les tables pour nettoyer notre espace de scène, d’autres se mettent déjà en position de public.

 

On se croirait dans un théâtre clandestin, dans ce hangar désaffecté d’une usine chimique, l’air saturé de la fumée des braseros. L’écoute est magnifique, ils ont un excellent sens de l’humour, et on a une belle surprise au moment de la participation du public, quand on les invite à « passer la frontière avec le faux passeport » :

 

Une femme rentre dans le jeu à fond, Babette lui prête son nez rouge et elle joue comme si elle faisait partie de la troupe. Avant de donner son passeport, elle prend son temps, joue tout un mélodrame, fait semblant de s’évanouir, tout le monde rigole… y compris nous ! Joey l’invite à jouer le rôle de la « femme du roi », en lui donnant le pouvoir de choisir qui pourait passer à la suite. Lorsque c’est le tour de Babette de passer la frontière, « la femme du roi » lui interdit le passage… car elle ne porte pas de nez rouge ! hahahahaha elle a créé la suite de notre scène… avec toutes les absurdités de ce monde bureaucratique. Pour pouvoir conclure la scène, je passe mon nez en secret à Babette pour qu’elle aie son permis de passage…La Rigolade a été regénératrice !

 

Après le spectacle, un jeune prof d’histoire nous félicite pour le contenu du spectacle, il pensait qu’on l’avait conçu juste pour eux, tellement cela reflétait leur situation.

 

Ce jeune homme a dû quitter son pays suite à un contenu qu’il a publié sur facebook, néanmoins il me dit que la plupart des jeunes qui sont ici, travaillaient dans l’agriculture du riz, et ont dû s’exiler à cause de la pauvreté de cette région (le centre du Viêtnam). Quelque soit la raison pour laquelle une personne se trouve dans une situation comme celle-là, l’inadmissible de toute cette histoire, c’est de constater que des milliers d’êtres humains vivent dans des conditions indignes ici, pour s’enfuir d’une condition encore plus horrible dans son pays.

 

Et le plus beau de tout cela, c’est que même dans ces conditions sous-humaines, dans tous les camps on a rencontré des êtres qui ont partagé généreusement des rires, des musiques, des regards bienveillants, pleins d’amour et de gratitude.

 

Et vive les Clowns !