Après notre visite au camp de Tatinghem, nous répétons pour reprendre en main le canevas du spectacle, et c’est avec une énergie encore renouvelée que Flamboia, Micocotte, Gisèle, Cocci, Lili, Cheppa et Johnny Dieppe partent le lendemain pour rencontrer les réfugiés de Steenvoorde.

Ici le contexte est complètement différent : aucune ONG n’intervient pour les aider, c’est une association locale qui a ouvert le jardin du presbytère pour accueillir les migrants et leur offrir ce qui leur manque dans le camp : toilettes, douches, vêtements, un lieu au sec… d’ailleurs nous ne verrons pas le camp, qui se trouve dans les environs de la commune. Comme c’est l’hiver, ils passent toute la journée dans ce jardin ou dans les bâtiments du presbytère et rentrent le soir au camp pour dormir.

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Notre arrivée par une petite porte derrière l’église est immédiatement reçue avec chaleur : tout le monde nous attendait ! Les rires fusent beaucoup plus rapidement qu’hier, on sent une communauté plus détendue (si on peut utiliser ce terme dans ce contexte…). Beaucoup d’hommes toujours, peu de femmes, pas d’enfants. Une majorité de Soudanais et d’Erythréens, on entend de la musique éthiopienne sortir par les volets de la maison du presbytère. Aujourd’hui, une entreprise lilloise a profité de leur jour de congé pour venir réparer bénévolement les sanitaires qui étaient délabrés.

Notre arrivée, que nous prétendons « discrète » (sept clowns blancs qui débarquent !!!!) fait fureur : un simple échange de regard déclenche déjà la sympathie, le rire, la connivence avec eux.

Et le spectacle commence : avec nous à cent pour cent, ils suivent nos pérégrinations, notre représentation d’un voyage vers l’Angleterre, la panique de la venue de la police, la « méchante Reine » qui joue avec les passeports. Beaucoup d’empathie, beaucoup de dérision autour du parcours du combattant que tous ont vécu et vivent encore aujourd’hui.

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Et ça finit en fête, tapant dans les mains, chantant tous ensemble !

Une fois nos bêtises achevées, nous enlevons le nez et rencontrons d’une autre manière chacun d’eux : on entend des bribes de vie, cette vie qui fait vieillir beaucoup plus vite (l’un d’eux nous dit qu’après trois mois passés ici, il se sent un vieillard). Des hommes qui avaient une vie confortable dans leur pays avant les catastrophes qui les ont fait fuir, des étudiants… on entend parler de prison, de torture, parfois on se rend compte qu’on est allé trop loin dans la conversation lorsqu’à la question « depuis combien de temps es-tu parti de chez toi », la réponse « un an et demi » fait s’éteindre les étincelles dans les yeux que notre spectacle avait réussi à réveiller…

Il faut savoir que la majorité des réfugiés qui font ce voyage sont des personnes qui en ont les moyens, qui ont souvent vendu leur maison pour partir : les passeurs monnaient extrêmement cher chaque étape du voyage, il faut minimum 9000 euros pour arriver jusqu’ici. Et la galère n’est pas finie, loin de là… L’addition est lourde.

Nous avons un peu de mal à partir, reprenant chacun dans les bras à plusieurs reprises, mais nous sentons que nous avons réussi à amener quelque chose qui leur manquait, et c’est l’essentiel !

Revenant à la communauté Emmaüs, nous passons la soirée du réveillon avec les compagnons, des volontaires et deux réfugiés, et pour les remercier de leur hospitalité, nous leur présentons notre spectacle entre l’apéro et le repas. Ambiance chaude ! tout le monde rigole, participe, parfois même trop ! on se retrouve avec la moitié des compagnons sur scène avec nous, commentant avec ferveur, essayant de passer la frontière imaginaire avec nous… Beau moment de partage aussi, ces gens font un travail incroyable ici, leur engagement mérite un respect profond.

Bonne année ! En espérant que les frontières aient la courtoisie de s’effacer en 2016 !

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