02/03/12

Je fus avare de ma plume, o amis, ne vous ai abreuve des episodes de cette mission « Camps Karens »
Or elle en fut riche.

Le Temps, cruel a son habitude, me fit defaut :

« Mais je demande en vain quelques moments encore
Le temps m’echappe et fuit.
Je dis a cette nuit « sois plus lente » et l’aurore
Va effacer la nuit » Lamartine, le lac.

Surtout la charge emotionnelle de cette 3eme « mission-derive » avec Paul, clown de genie et fidele compagnon de dysentrie…

Nous nous sommes rendus dans les camps Karens. Mai La, Mai Rama Luang, Mai La Oon. En Thailande. Sur la frontiere birmane.
Dans la jungle. Dans la poussiere. Sous le soleil exactement. La ou tu te noies dans ta sueur.
La ou je fus, seul, en fevrier-mars 2010.

Camps qui me hantent depuis.

Camps de Mae Rama Luang et Mai La Oon. Au bout de la piste qui joue aux osselets avec tes vertebres. 4h durant.
Lorsque je quittai ces lieux, mars 2010, le dernier mot que j’ouis : « Please come again »
I promise dis-je des larmes comme la mousson plein les yeux (la poussiere bien sur, la poussiere…).

Je suis de retour. En compagnie de mon jokker : Paul le Magnifique.

Arrivee. Mai Rama Luang. Kilometres de huttes tassees le long de la riviere et sur les collines abruptes. Rues en terre. Pas de bagnoles. Quelques rares mobs. Les milliers de refugiers : pietons, partout, tout le temps. Poussiere….

Le chef (elu) du camps me remercie. Le menestrel est revenu. Effusions en 4 mots d’anglais (quasi personne parle anglais)

Des le lendemain matin, 8h, premier show. Ecole. Sont ils 500, 800, 1000 ? Juste une foule tassee secouee de rires. Paul
virvolte, un ange espiegle tombe la, survolte, feufollet…

Ce mec est en train d’ecrire une nouvelle page de la legende sublime et tragique des clowns. Pas moins.
Avec l’encre des rires de sa sueur et de sa chiasse.

Trois spectacles par jour. Ceux de l’apres m’ et de fin d’apres m’ sous la chaleur ruisselante. Moiteurs tropicales.
Centaines de spectateurs qui accourent au son de la trompette de Paul ( l’appel du clown du fond de la jungle, tazanesque).
Foule qui souleve des nuages de poussiere rouge qu’on se voit plus a 2 metres.

Image fugitive : lors du spectacle il pose une balle de contact sur sa tete, lourde balle transparante en polystirene.
Numero d’equillibre emaille de gags. La nous sommes en plein soleil, 2h30 de l’apres m’.
A peine posa-t-il la balle sur sa tete qu’une bouffee de fumee s’en echappa, comme s’il reflechissait intensement, ce qui ne
lui arrive jamais : c’est un clown.
La balle de contact fit loupe, son crane cramait.
Il sentit le cochon grille jusque tard dans la nuit. Ce qui eloigna les moustiques et peut etre le sauva de la malaria.

Et nous enchainons. Dupont Dupond, le jeune et le vieux, le maigre et le dense, le pale et le basane (« avec ta gueule de Meteque… »)
nous deballons notre petit spectacle….

Un dernier show qu’on improvise aux portes de la nuit. Devant 1000 ou 1500 personnes. Nous saluerons sous un croissant de lune
pose a l’ouest, au dessus de la Birmanie, au dessus du pays Karen.
La nuit a clot notre show.
Nuit noire, pas de jus dans les camps.

Une sensation : je l’avait sentie en 2010 ici meme, je la revis…Un truc dont nous ignorons tout : la vie dans les camps. Nulle
part ou aller.Rien a faire. Pas de lumiere, de tele, de bistrot…La foule dense des refugiers, un fond de tristesse sans fond en depit
des sourires. L’angoisse de se retrouver la. Figes. Les camps. L’enfermement.

Bastien nous rejoind le jour meme ou nous nous embarquons pour Mai Rama Luang. Venu faire…Quoi au juste ? Des milliers de photos
de cette equipee, des interviews de tout le monde. Tout le temps. Un temoignage de cmsf sur la route…Un peu de tout ca.
Lors de chaqu’un de nos spectacles il se faufillera parmi le public, present et discret.
Sous peu vous verrez ses photos. Ici meme.
Merci a lui.
Merci Bastien.

Puis 28 et 29/02/12, long retour vers la vie normale, la vie des villes.
Toute la journee du 29 la route de Mai Sot dans le pick-up a ciel ouvert.
Paul malade. Dysentrie encore et toujours. Pour autant le compagnon ideal, pas chiant pour un sou.

Mai Sot. Grosse bourgade thaie sur la frontiere birmane.
Cohortes de migrants et refugiers : Birmans, Karens, Karennis, Akas, Humongs, Yaos…Tous fuyant la Birmanie, le regime birman.

Le marche de Mai Sot : moitie thai moitie birman. Marcher d’Asie. Montagnes de fruits, poissons, bidoche, encens, echoppes de bouffe, medecine traditionnelle, crapeaux, insectes, anguilles morts ou vifs…Opulence.

A 18h le marcher boucle. A 18h30 tout est nettoye, nickel…Efficacite de l’Asie du sud-est.
Et s’en va le camion d’ordures, charge jusqu’a la gueule, dans la nuit. Assez glauque. Assez odorant.

Et ou va-t-il ce camion poubelles ? Vers un coin d’enfer a 5km : la decharge. Mont immonde. Mont d’immondices.
Face cachee de l’opulence.
Sur la decharge l’attendent des hordes d’enfants. Toute la nuit ils fouilleront les dechets, trieront le plastique. Qu’ils revendent,
1 centime les 100kg. Recyclage…
Trois villages vivent de la decharge.
Ultime spectacle avec Paul. Dans la crasse. Une mer de crasse.

 » Il est de forts parfums pour qui toute matiere est poreuse
On dirait qu’ils penetrent le verre. En ouvrant un coffret venu de l’orient
Dont la serrure grince et rechigne en criant (…)
Parfois on trouve un vieux flacon qui se souvient
Dont jaillit toute vive une ame qui revient » Ch Baudelaire.

Les ames de la dechargent pululaient…Derniere carte postale de cette Asie tropicale. O amis…