A l’aube, un autre matin. Bruine et soleil se lèvent sur Kathmandu empoussiérée. La pollution et les klaxons s’estompent dès la sortie de la ville. Nous repartons, les sourires des enfants des rues de la capitale dans la tête, le cœur rechargé pour d’autres rencontres.

Nous gravissons les montagnes pour Dolhaka, au Nord-Est. Les nuages de brume aiment à se déposer sur les sommets. La vue qui se dévoile foudroie. Terrains de rizières infinies qui se déploient, à couper le souffle. Le Népal est la demeure des dieux, le nirvana ne doit pas être loin. L’oxygène est plus rare, nous sommes à 2800 mètres, le cœur ivre et la tête qui chavire.

Nos spectacles s’enchaînent, sous la pluie ou le soleil éclatant. Les paysans nous offrent de généreux accueils. Visages criblés de rides, qui ont rudement vécu. La nature les a surpris, alors qu’ils plantaient le riz ; elle a réduit en poussière leurs maisons, et fait périr les leurs. Les dieux ont failli à défendre ceux qui les implorent. Cruellement, selon certaines croyances hindoues, ils se vengent, ils accablent ceux qui s’en seraient détourné. Face à la cruauté et au silence du ciel, que reste -t’il d’autre à faire que d’embellir la vie en l’exaltant par l’art ?

Je m’habitue presque aux amoncellements de briques, aux pierres qui jonchent la route, aux bâches qui recouvrent les petites huttes en tôle, aux routes défoncées qui font mal au cul.

Les enfants jouent, s’amusent de rien, vivent leurs vies d’enfants des montagnes. Des gosses aux visages émerveillés et timides, à des lustres des visages marqués de détresse des gosses de Syrie. Ce n’est pas la guerre, celle qui ravage tout.

Les retours en Europe questionnent. N’est-ce pas chez nous, que notre jeunesse est « atteinte » de cynisme et d’ennui ? N’est-ce pas notre société qui demande à être ré-enchantée ? Ne faudrait-il pas aussi re-nourrir nos jeunes goinfrés de conneries, de télé réalité, de vulgarité et dépression ambiante ?

S’il y a bien un peuple qui enchante, c’est bien le peuple du Népal, qui offre de saisons en festivals, une place permanente à la beauté, au Mystère des rites, malgré la misère des jours.

La tendresse de l’enfance dans les regards de rides des vieilles prend au cœur. Et leurs vieux compagnons, paysans à la retraite fumant la pipe, encore plus vieux et ridés qu’elles, goûtent encore le plaisir d’être là, à ne rien faire d’autre que contempler la montagne, s’enivrer d’alcool jusqu’à puer, ou écouter un fond de radio qui grésille. Leurs mémoires millénaires me ramènent à quelque chose d’enfoui dont ils sembleraient détenir le secret.

La femme encore fort brimée au Népal, tente périlleusement de s’émanciper dans les alentours de Kathmandu. Ce n’est pas encore le cas dans les villages, conservateurs d’oppression envers les femmes, qui sont mariées jeunes et n’ont pas d’autre choix que d’être cette femme à poser dans sa maison, celle qui cuisine, sait se tenir, passe son temps à suivre les instructions de l’époux et à ouvrir les cuisses. Malgré la poésie qui émane des peuples des villages, l’enfermement dans des traditions figées, crispe. Les traditions, flambeaux de connaissance, demandent à s’éclairer de plus de liberté.

Les nuages ont recouverts les toits et s’affaissent peu à peu sur la montagne. La nuit est tombé sous des volutes. Nous reprenons la route demain vers Sindupalchok, lieu d’un terrible glissement de terrain l’année dernière qui avait emporté des centaines de vie, et région la plus meurtrie par le tremblement de terre.

Merci pour vos mots.

Bien à vous,

Virginie